Je jouais à des affûts
en sortant de l’école
je partais dans les bois
avec un pain au lait
et dans mon sac
le Kodak
je trouvais un trou dans la mousse
un pli de vallon
je grimpai dans un pin
je laissais le bruit de ma course
le vacarme encore chaud du bois brisé sous mes pas
s’éteindre
ne plus faire alerte
et je me fondais
je ne me rappelais jamais
avoir mangé mon pain au lait
il disparaissait dans un autre moi
qui était mousse
qui était forêt
je devenais lichen
je tendais mon arc de patience
le déclencheur du Kodak
faisait un bruit de geai
je n’avais qu’un coup
une chance que je ne jouerais
que pour un renard un ours
ou un lièvre des neiges
et c’est précisément
dans le guet
de ce qui ne vint jamais
dans le silence de l’attente
que tout le reste
m’apparaissait
les fourmis sur le pin
le combat des lucanes
l’orvet dans les fougères
la huppe sur le vieux mur
le bourdon dans ma main
et me restent à jamais vivants
l’intact émerveillement
la joie intarissable
pour cet instant soudain
sur une branche
sous une feuille
l’éclair d’une rencontre
le cœur en écureuil
Fabien Bouvier